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Togo-Des corps dans la lagune de Bè : 30 ans après, le Parti des Travailleurs demande « justice pour les martyrs »

11 avril 1991 – 11 avril 2021. Cela fait exactement 30 ans que la soldatesque du régime du feu Général Gnassingbé Eyadema a perpétré un massacre gratuit dans la lagune de Bè, sous préteste d’un couvre-feu. Au moins 28 citoyens togolais ont perdu la vie dans cet effroyable carnage. Dans une déclaration, le Secrétaire chargé à la Coordination au Parti des Travailleurs, Claude Améganvi lève la voix. Il dit « non à l’impunité » et réclame « justice pour les martyrs de la lagune de Bè ». Bonne Lecture.

Non, à l’impunité : Justice pour les martyrs de la Lagune de Bè !

11 avril 1991 – 10, 11 avril 2021, il y a 30 ans, une terrible tragédie, qu’on a qualifiée à l’époque d’« horreur absolue » survenait dans la capitale togolaise, Lomé, au quartier Bè. La répression aveugle du régime de feu Etienne Gnassingbé EYADEMA contre le soulèvement populaire en cours depuis plusieurs mois atteignait le summum d’une ignominie exécutée par sa soldatesque au-devant de laquelle se trouvait son propre fils, militaire aussi de son état, le tristement célèbre Ernest GNASSINGBE EYA[1]DEMA, depuis lors également disparu.

Totalement dépassé par l’approfondissement du soulèvement en cours depuis le 5 octobre 1990, il décida de tuer bestialement, dans une tentative insensée pour faire cesser ce mouvement insurrectionnel et décréta à cet effet, un couvre-feu qui devait servir à exécuter cette opération macabre censée créer un état de choc destinée à briser définitivement toute initiative de contestation de son régime. Tel fut apparemment l’objectif assigné à ces terribles massacres de la Lagune de Bè.

Mais avant de rappeler les faits qui l’ont marqué et leurs conséquences, il importe de rappeler le contexte, la toile de fond sur laquelle ils survenaient.

En effet, depuis le 5 octobre 1990, le peuple togolais vivait une exaltante et palpitante quête de reconquête de sa liberté confisquée depuis les 27 ans qu’était survenu l’assassinat crapuleux de son premier président démocratiquement élu, Sylvanus OLYMPIO, le 13 jan[1]vier 1963 et les 23 ans de règne d’une dictature militaire féroce qui, sous la férule sanglante d’Etienne Gnassingbé EYADEMA, avait mis en coupe réglée le pays.

Mais, ce 5 octobre 1990, le peuple togolais se soulevait à l’occasion d’une parodie de procès dont le verdict rendu ce jour condamnait injustement de jeunes opposants politiques, militants de la CDPA, un parti politique évoluant dans la clandestinité, LOGO Dossouvi et DOGLOAgbélenko. La jeunesse togolaise, fer de lance de la lutte de résistance du peuple, défie le régime malgré la terreur ambiante et la brutalité légendaire de ses forces de répression.

La dictature réprime sauvagement : 4 morts et des dizaines de blessés selon les chiffres officiels, plus d’une dizaine de morts et des centaines de blessés selon les sources indépendantes.

Le 12 octobre suivant, après être revenu de sa surprise par le cours de ces événements, sans précédent depuis le putsch qui l’a porté au pouvoir 23 ans plus tôt, EYADEMA procédait la libération voilée sous forme d’une grâce présidentielle des deux jeunes militants LOGO et DOGLO.

Cherchant à aller plus loin dans la mise en œuvre de mesures d’apaisement, il lança courant novembre, une initiative politique destinée à brouiller les cartes dans une vaine tentative de faire cesser les mouvements en cours en annonçant la création d’une Commission de 109 membres chargée de faire des propositions de réforme de son régime. Mais, il était déjà trop tard, le peuple n’entendait plus reculer…

Quelques jours plus tard, le 26 novembre, les dockers du port autonome de Lomé déclenchent une grève illimitée pour appuyer leurs revendications salariales.

L’approfondissement du soulèvement populaire

Ils sont suivis cette semaine du 26 novembre au 2 décembre, par les conducteurs de véhicules de transport qui déclenchent une mobilisation massive et une grève illimitée pour protester contre l’instauration arbitraire du permis dit professionnel aux conséquences désastreuses pour leur corporation, et en exiger l’abolition. Massivement observée dans les principales villes du pays (Lomé, Tsévié, Aného, Sokodé, Tsévié, Aného, Atakpamé, Vogan etc.), ils érigent des barricades et des piquets de grève et finissent par triompher des brutalités des forces de répression. Plus de 10 morts et des centaines de blessés sont relevés.

Puis, ce fut au tour du monde rural de se soulever, les 28 et 29 novembre, dans le grand nord du pays où les conducteurs de véhicules de transport ont porté la contestation partie de la capitale à Mango où la population s’est soulevée contre l’arriération imposée à leur ville depuis plus de deux décennies du fait de la politique inhumaine appliquée par le pouvoir en matière de protection de l’environnement. Bravant pendant deux jours les brutalités des forces de répression, les jeunes paysans réclament le droit de pêcher du poisson dans la rivière, de chasser du gibier, ainsi que la restitution des terres dont la population a été dépossédée par le pouvoir au profit de la réserve de faune. Ils tentent d’ouvrir la tristement célèbre prison de Mango pour libérer les victimes de cette fausse politique environnementale.

Le 11 décembre, ce fut au tour des travailleurs du complexe sucrier d’Anié, Société sino-togolaise (SINTO), de déclencher une grève de 72 heures pour appuyer des revendications introduites depuis quatre ans auprès de leur patron :

“ des conditions de travail comme à l’époque de l’esclavage, nous n’en voulons plus ”, déclarent-ils, osant braver l’interdiction du droit de grève, les menaces de licenciement de la société et la répression du pouvoir. Ce même mois de décembre, face à l’évolution tumultueuse des événements, Joseph Kokou KOFFIGOH, président de la Ligue togolaise des droits de l’Homme (LTDH), fait une première tentative de sauvetage du régime en place au terme des travaux du Congrès de la LTDH en proposant « au gouvernement de désigner immédiatement un médiateur officiel connu pour son intégrité morale et sa neutralité politique, chargé de rapprocher les points de vue du gouvernement et du RPT d’une part et ceux des op[1]positions clandestines et des diverses catégories socio-professionnelles ayant des revendications à formuler d’autre part, afin de désamorcer les tensions sociales actuelles et d’éviter les risques de dérapages tribalistes et régionalistes. Ce processus de concertation devrait déboucher sur des journées nationales de dialogue d’où sortiraient les grandes orientations du Togo de l’ère du pluralisme » (Forum Hebdo N° Spécial du 28 décembre 1990 au 9 janvier 1991 – P. 9 et 10).

Mais, le 31 décembre, les paysans du Wawa, insensibles à ce discours d’apaisement, se soulèvent d’une part contre les brimades racistes que leur inflige l’expatrié allemand qui dirige cette société et pour exiger surtout la restitution des terres dont ils ont été dépossédés au profit de la société Marrox. L’intervention brutale des contingents militaires dépêchés sur les lieux depuis la caserne de Témédja n’est pas parvenue à entamer la farouche détermination de la population à résister.

Les fêtes de fin d’année ayant été marquées par une maturation des processus en cours, les premières semaines de l’année 1991 voient survenir sur le campus de l’Université du Bénin une vive agitation qui a fini par déboucher sur une grève des étudiants qui, commencée à la fin du mois de février, se généralise au mois de mars où elle est l’objet d’une sauvage répression marquée par de nombreuses arrestations et des disparitions.

Le samedi 16 mars 1991, c’est au tour des femmes d’entrer dans la danse, elles qui n’hésitent pas à défier la sécurité présidentielle pour organiser une marche de protestation contre les brutalités des forces de répression sur le campus universitaire et la détention arbitraire des étudiants, leurs enfants, dont elles exigent la libération immédiate. Elles sont sauvagement réprimées sans ménagement : quatre morts et des centaines de blessés sont relevés à l’occasion de cette manifestation qui opère un tournant en ralliant tous les mouvements catégoriels en cours pour les transformer désormais en un mouvement du peuple tout entier.

Fortement inquiet du cours pris par les événements, EYADEMA en appelle à AGBOYIBO qu’il rencontre le lundi 18 mars pour des négociations qui ont pour résultat de désamorcer la grève générale de protestation que la population s’apprêtait à déclencher contre la répression sanglante de la manifestation du samedi 16 mars, qui se trouve suspendue. Se constitue alors un « Front des associations pour le renouveau » (FAR) qui entame des négociations avec EYADEMA pour l’organisation d’un « Forum national de dialogue » destiné à faire pièce à la revendication d’une conférence nationale souveraine qui faisait l’actualité, venant du Bénin où elle avait été l’occasion d’ébranler le régime de KEREKOU.

Mais le 5 avril, la répression sanglante d’une manifestation de jeunes qui essayaient de déboulonner la statue d’EYADEMA devant la Maison du RPT (actuel Palais des congrès), et qui fit deux morts et de nombreux blessés – dont certains grièvement relança toute la contestation populaire qui se poursuivit alors sans interruption.

Face aux massacres de la Lagune de Bè le peuple exige la démission d’Eyadema, des dirigeants du Far s’y opposent !

Ce fut dans ce mouvement que, le 10 avril, une des nombreuses marches pacifiques spontanément organisée par la population dans divers quartiers de la capitale depuis un certain temps pour exiger le départ d’EYADEMA, le rétablissement des libertés démocratiques et l’instauration d’un Etat de droit au Togo se heurte, au quartier de Bè, à l’intervention brutale des forces de répression qui ont massacré et noyé dans la lagune près d’une trentaine d’innocents citoyens. Parmi ceux-ci des femmes dont une enceinte portant un bébé au dos, et dont nous avons appris depuis lors que, surnommée Améyovinô (mère d’Améyovi) et née APETI, elle était originaire du village d’Adjologou (Préfecture de Vo) d’où elle était venue vivre à Bè, mariée à un habitant du quartier.

Rappelons également que, ce 11 avril 1991 où les corps de ces innocentes victimes ont été repêchés de la Lagune de Bè, dans un élan spontané, la population les a disposés dans un véhicule utilitaire débâché pour s’ébranler en une marche pacifique audacieuse. La marche exige la démission inconditionnelle et immédiate d’EYADEMA, identifié comme seul et unique commanditaire de ces massacres en s’accompagnant de chansons traditionnelles guerrières disant notamment en mina :

EYADEMA do ahoua, Ahoua lé gbéadji ! Ce qui veut dire : EYADEMA a déclaré la guerre, Nous voici en guerre !

C’est également le lieu de rappeler que si EYADEMA a pu échapper à la réalisation de cette profonde aspiration populaire dont il a été sauvé, ce ne fut que grâce à la trahison et à la complicité des responsables du FAR que le peuple identifiait alors comme les dirigeants du mouvement qu’il avait lancé depuis le 5 octobre 1990 : les avocats Joseph Kokou KOFFIGOH et Yawovi AGBOYIBO (aujourd’hui disparu). De son exil en France, un militant les dénoncera comme : « avocats du diable en service commandé », ce qui aura pour conséquence de faire imploser et disparaître le FAR, au grand désarroi d’EYADEMA dont le pouvoir vacillant lâcha d’importantes concessions : charte des partis, loi d’amnistie, etc, qui marquent un tournant dans la situation. Pour l’édification de la jeune génération, nous estimons de notre devoir de rappeler, dans ce dossier, les propos tenus à RFI et à la presse internationale par lesquels fut consommée leur trahison sans laquelle le sort du Togo aurait été, sans nul doute, tout autre aujourd’hui.

Elle fut alors une première, bientôt suivie par bien d’autres : trahison de la grève générale illimitée jusqu’à la démission d’EYADEMA à laquelle on refusa de le démettre bien que son régime était frappé à mort, trahison de la Conférence nationale où on refusa de destituer le même EYADEMA malgré tous ses crimes, trahison du mouvement insurrectionnel spontané qui éclata à l’assassinat de Tavio AMORIN, etc. Et, clairement, jusqu’à la trahison de tous les mouvements insurrectionnels qui se sont succédé depuis 30 ans à de multiples occasions dont celui du 19 août 2017. Des mouvements qui ont tous été noyés dans une trentaine de dialogues sans queue ni tête mais qu’on continue pourtant toujours à réclamer malgré le rejet du peuple qui, lui, a compris qu’ils n’ont été qu’autant de marchés de dupes !

Devoir de mémoire pour mettre fin à l’impunité et à toute garantie de répétition

C’est donc par devoir de mémoire que, par ce dossier, nous reconvoquons l’histoire pour rendre un hommage déférent à toutes ces victimes, à l’occasion de la commémoration du 30e anniversaire de cette sanglante tragédie qu’ont été les massacres de la Lagune de Bè du 10 au 11 avril où 28 citoyens innocents ont été lâchement et bestialement assassinés. Car, en publiant ce dossier, nous voulons soulever à nouveau avec force la question de la totale impunité dont les crimes odieux comme ceux-là n’ont cessé d’être couverts depuis plus de 58 ans au Togo. Et leurs commanditaires et exécutants avec. Pour quelles conséquences ? L’assurance d’une totale garantie de répétition qu’il faut dénoncer avec la même force pour qu’on en finisse une fois pour toutes si on en juge par ses graves conséquences ultérieures et pour le présent.

En effet, à la page 8 de ce dossier, nous publions des extraits du « RAPPORT GENERAL DE SYNTHESE DE LACOMMISSION II : AFFAIRES POLITIQUES & DROITS DE L’HOMME ET DES LIBERTES PUBLIQUES – DROITS DE L’HOMME ET LIBERTES FONDAMENTALES » par lequel la Conférence nationale souveraine (17 août 1991) a jugé devoir « interpeler, et au besoin (…) faire poursuivre en justice (…) des personnes, officiers, sous-officiers et soldats » parmi lesquels on peut en identifier qui ont encore fait lourdement parler d’eux par la suite tels :

— le Lieutenant-Colonel Gnassingbé Toyi (ex Donou), à nouveau mis en cause dans l’assaut sur la Primature, le 3 décembre 1991 où il est décédé ;

— le Lieutenant-Colonel Arrégba, à nouveau mis en cause dans l’attentat de Soudou ;

— le Lieutenant Gnassingbé Essonam Ernest, à nouveau mis en cause dans plusieurs violations des droits de l’Homme dont l’attentat de Soudou, aujourd’hui décédé et dont la veuve est l’actuel Ministre des Armées ;

— le Capitaine Titikpina, à nouveau mis en cause dans les massacres de 2005 et dans plusieurs violations des droits de l’Homme puis nommé chef d’Etat-major général des Forces armées togolaises, aujourd’hui à la retraite ;

— le Capitaine Biténéwé Kolima, à nouveau mis en cause dans de nombreuses violations des droits de l’Homme avant sa no[1]mination comme préfet du Moyen Mono ;

— le Capitaine Béréna, à nouveau mis en cause dans les massacres de 2005, aujourd’hui dirigeant de l’ANASAP ;

— le Commandant Djoua Yoma, à nouveau mis en cause dans de nombreuses violations des droits de l’Homme avant sa dis[1]parition ;

— le Sous-Lieutenant Bakaly, à nouveau mis en cause dans de nombreuses violations des droits de l’Homme avant sa nomi[1]nation comme préfet de la Kozah

La garantie de répétition, c’est également bien sûr ce à quoi nous avons assisté au Togo, lorsque, pour aller s’assoir dans le fauteuil présidentiel laissé vacant par le décès de son père Etienne GNASSINGBE EYADEMA en 2005, son fils, Faure Essozimna, n’hésita pas à faire massacrer de 400 à 500 innocents citoyens togolais selon la Mission des faits de l’ONU, plus de 1 000 selon la Ligue togolaise des droits de l’Homme ! Parmi ceux-ci 3 innocents citoyens qui, comme 14 ans auparavant, ont été assassinés et à nouveau jetés dans la Lagune de Bè, le 27 février 2005, dont Efoé EZE, un jeune enfant de 12 ans, élève, mort après avoir été sauvagement battu, s’être fait ligoter les mains puis noyé dans la lagune de Bè par les forces de l’ordre ! C’est pourquoi, 30 ans après, nous continuons toujours à exiger : non, à l’impunité ! Justice pour les 28 martyrs de la Lagune de Bè et tous les martyrs qui, depuis 58 ans, ont versé leur sang sur la terre de nos aïeux !

 

 

Togo-Des corps dans la lagune de Bè : 30 ans après, le Parti des Travailleurs demande « justice pour les martyrs »